L'éditeur ne met point en tête de ces Mémoires:Nouvelle édition; c'est dire que lesprécédentes n'existent pas. En effet, il lepense, non sans raisons. Il y a découvertbeaucoup de bévues, dont plusieurs fort amusantes.«Chamillart, disaient-elles, se fit adorerde ses ennemis.» Le grand homme!Comment a-t-il pu faire? Attendez un peu; levrai texte change un mot: «commis,» au lieud'ennemis. Vous et moi nous serons aussi habilesque Chamillart quand nous serons ministres;il nous suffira d'un sac d'écus.—D'autrescorrections nous humilient. Nouslisions avec étonnement cette phrase étonnante:«Il n'y eut personne dans le chapitrequi ne le louât extrêmement, mais sans louanges.M. de Marsan fit mieux que pas un.» Nouscherchions le secret de ce galimatias avec uneadmiration respectueuse. L'admiration était detrop; le galimatias appartenait aux éditeurs;il y a un point après extrêmement: «mais sanslouanges, M. de Marsan fit mieux que pas un.»La phrase redevient sensée et claire.—Lesanciens éditeurs, trouvant des singularitésdans Saint-Simon, lui ont prêté des bizarreries.On est libéral avec les riches: «La nouvellecomtesse de Mailly, disent-ils, avait apportétout le gauche de sa province, et entradessus toute la gloire de la toute-puissantefaveur de madame de Maintenon.» Cette métaphoreinintelligible vous effarouche; ne vouseffarouchez pas. Saint-Simon a mis enta. S'ily a là une broussaille littéraire, ce sont leséditeurs qui l'ont plantée. Ils en ont plantébien d'autres, plus embarrassantes, car ellessont historiques: des noms estropiés, des datesfausses, Villars à la place de Villeroy; le comtede Toulouse et la duchesse de Berry mariésavant leur mariage; et, ce qui est pis, descontre-sens de mœurs. En voici un singulier:«Le roi, tout content qu'il était toujours, riaitaussi.» On s'étonnait de trouver Louis XIVbonhomme, guilleret et joyeux compère, etl'on ne savait pas que le manuscrit porte contenuau lieu de content.—Le pis, c'est que leSaint-Simon prétendu complet ne l'était pas.Les éditeurs l'avaient écourté, comme autrefoisles ministres; l'inadvertance littéraire luiavait nui comme la pruderie monarchique.Plusieurs passages, et des plus curieux, manquaient,entre autres les portraits de tous lesgrands personnages du conseil d'Espagne.Celui-ci, par exemple, était-il indigne d'êtreconservé? «Escalona, mais qui plus ordinairementportait le nom de Villena, était lavertu, l'honneur, la probité, la foi, la loyauté,la valeur, la piété, l'ancienne chevalerie même,je dis celle de l'illustre Bayard, non pas celledes romans et des romanesques. Avec celabeaucoup d'esprit, de sens, de conduite, dehauteur et de sentiment, sans gloire et sansarrogance, de la politesse, mais avec beaucoupde dignité; et par mérite et sans usurpation,le dictateur perpétuel de ses amis, de sa famille,de sa parenté, de ses alliances, qui touset toutes se ralliaient à lui. Avec cela, beaucoupde lecture, de savoir, de justesse et dediscernement dans l'esprit, sans opiniâtreté,mais avec fermeté; fort désintéressé, toujoursoccupé, avec une belle bibliothèque, et commerceavec force savants dans tous les pays del'Europe, attaché aux étiquettes et aux manièresd'Espagne sans en être esclave; en un mot, unhomme de premier mérite, et qui par là a toujoursété compté, aimé, révéré beaucoup plusque par