HISTOIRES EXTRAORDINAIRES
Traduction par Charles Baudelaire Première publication en France en 1856
par Charles Baudelaire (1856).
...Quelque maître malheureux à qui
l'inexorable Fatalité a donné unechasse
acharnée, toujours plus acharnée, jusqu'à
ce que ses chantsn'aient plus qu'un unique
refrain, jusqu'à ce que les chants funèbres
deson Espérance aient adopté ce
mélancolique refrain: «Jamais! Jamaisplus!»
Edgar Poe.—Le Corbeau.
Sur son trône d'airain le Destin, qui s'en raille,
Imbibe leur éponge avec du fiel amer,
Et la nécessité les tord dans sa tenaille.
Théophile Gautier.—Ténèbres.
Dans ces derniers temps, un malheureux fut amené devant nos tribunaux,dont le front était illustré d'un rare et singulier tatouage: Pas dechance! Il portait ainsi au-dessus de ses yeux l'étiquette de sa vie,comme un livre son titre, et l'interrogatoire prouve que ce bizarreécriteau était cruellement véridique. Il y a, dans l'histoirelittéraire, des destinées analogues, de vraies damnations,—des hommesqui portent le mot guignon écrit en caractères mystérieux dans lesplis sinueux de leur front. L'Ange aveugle de l'expiation s'est emparéd'eux et les fouette à tour de bras pour l'édification des autres. Envain leur vie montre-t-elle des talents, des vertus, de la grâce; laSociété a pour eux un anathème spécial, et accuse en eux les infirmitésque sa persécution leur a données.—Que ne fit pas Hoffmann pourdésarmer la destinée, et que n'entreprit pas Balzac pour conjurer lafortune?—Existe-t-il donc une Providence diabolique qui prépare lemalheur dès le berceau,—qui jette avec préméditation des naturesspirituelles et angéliques dans des mil