LIBRAIRIE DES ANNALES
Politiques et Littéraires
9, RUE BONAPARTE, 9
PARIS
A mes amis, Gérard d'Houville et Henri de Regnier, j'offre ce petitlivre, témoignage très humble de mon admiration, de mon respect et dema reconnaissance affectueuse.
C.F.
Aujourd'hui, 20 janvier 1909, je me résous, non sans trouble etnon sans terreur, à écrire le récit exact de l'Aventure. Je m'yrésous, parce que, après-demain, je serai mort. Après-demain, oui.Après-demain, sûrement.—Mort.—Mort de vieillesse. Je le sens. Jele sais. Je ne risque donc plus grand'chose à rompre le silence. Etje crois en vérité qu'il faut le rompre, pour le repos, la paix etla sécurité de tous les hommes et de toutes les femmes, ignorants etmenacés. Moi, je ne compte plus. Après-demain je serai mort. Ceci estdonc proprement mon testament,—mon testament olographe.
Je lègue à tous les hommes et à toutes les femmes, qui furent mesfrères et mes sœurs, la divulgation du Secret. Que ma vieillesse et quema mort servent d'avertissement. Telle est ma dernière volonté.
Il faut d'abord qu'on le sache: je ne suis pas fou. Je suisirréprochablement sain d'esprit, et même de corps, puisque je ne suismalade d'aucune maladie;—vieux seulement, vieux au delà de toutesles vieillesses humaines. J'ai—combien?—quatre-vingts? cent? centvingt ans? Je ne sais au juste. Il n'existe rien qui puisse fixermon sentiment là-dessus: ni preuves écrites,—actes d'état civil ouautres,—ni souvenirs, ni témoignages d'aucune sorte. Même, je ne puispas apprécier mon âge d'après mes sensations de vieillard. Car jene suis vieux que depuis trop peu de jours. Je n'ai pas eu le tempsde m'habituer à ce changement soudain. Et toute comparaison m'estimpossible entre ma vieillesse séculaire et d'autres vieillesses moinscaduques,—que je n'ai point connues antérieurement.—C'est tout d'uncoup que je suis devenu ce que je suis...
J'ai très froid, surtout à l'intérieur du corps, dans ma chair et dansmon sang, dans la moelle de mes os aussi. Je suis fatigué, fatiguéhorriblement, et d'une fatigue qu'aucun repos, jamais ne soulage. Tousmes membres sont gourds, et toutes mes articulations douloureuses.Mes dents claquent sans cesse et branlent au point de n'être plusbonnes pour mâcher. Mon corps, irrésistiblement, se courbe et penchevers la terre. Je vois trouble et j'entends confus. Et chacune de cessouffrances m'est aiguë, parce que neuve. En sorte qu'aucun être n'estprobablement aussi misérable que moi...
Mais ce n'est plus que pour deux jours, deux jours à peine!quarante-huit heures,—deux mille huit cent quatre-vingtsminutes,—rien.—Je viens de calculer cette toute petite durée, et moncœur bat d'espoir ... oui, d'espoir, quoique la mort soit une terriblechose,—plus terrible certes que les vivants ne l'imaginent! Je lesais, moi,—moi seul.—Mais qu'importe! ma vie, en vérité, n'est plusune vie...
Non, je ne suis pas fou. J'ai toute ma libre raison, et, de plus, jevais mourir. Deux motifs pour que je ne mente pas, deux motifs pourqu'on ne doute pas de ma véracité. Oh! pour l'amour de votre Dieu, sivous en avez un, ne doutez pas de ma véracité, vous qui trouverez cecahier où j'écris, vous qui lirez le récit de l'Aventure! Il ne s'agitpas de contes bleus ni de fariboles. Il s'agit du plus terrible dangerqui