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ÉDITION DÉFINITIVE D’APRÈS LES MANUSCRITS ORIGINAUX


ŒUVRES COMPLÈTES
DE
GUSTAVE  FLAUBERT


VI

TROIS CONTES

SUIVIS DE

MÉLANGES INÉDITS


PARIS

A. QUANTIN, IMPRIMEUR-ÉDITEUR

RUE SAINT-BENOIT, 7

1885


TOUS DROITS RÉSERVÉS


TROIS CONTES


3

UN CŒUR SIMPLE


I

Pendant un demi-siècle, les bourgeoises de Pont-l’Évêque envièrent àMme Aubain sa servante Félicité.

Pour cent francs par an, elle faisait la cuisine et le ménage, cousait,lavait, repassait, savait brider un cheval, engraisser les volailles,battre le beurre, et resta fidèle à sa maîtresse,—qui cependantn’était pas une personne agréable.

Elle avait épousé un beau garçon sans fortune, mort au commencement de1809, en lui laissant deux enfants très jeunes avec une quantité dedettes. Alors elle vendit ses immeubles, sauf la ferme de Toucques etla ferme de Geffosses, dont les rentes montaient à 5,000 francs toutau plus, et elle quitta sa maison de Saint-Melaine pour en habiter uneautre moins dispendieuse, ayant appartenu à ses ancêtres et placéederrière les halles.

Cette maison, revêtue d’ardoises, se trouvait entre un passage etune ruelle aboutissant à la rivière. Elle avait intérieurement desdifférences de niveau qui faisaient trébucher. Un vestibule étroitséparait la cuisine 4 de la salle où Mme Aubain se tenait toutle long du jour, assise près de la croisée dans un fauteuil de paille.Contre le lambris, peint en blanc, s’alignaient huit chaises d’acajou.Un vieux piano supportait, sous un baromètre, un tas pyramidal deboîtes et de cartons. Deux bergères de tapisserie flanquaient lacheminée en marbre jaune et de style Louis XV. La pendule, au milieu,représentait un temple de Vesta; et tout l’appartement sentait un peule moisi, car le plancher était plus bas que le jardin.

Au premier étage, il y avait d’abord la chambre de «Madame», trèsgrande, tendue d’un papier à fleurs pâles, et contenant le portrait de«Monsieur» en costume de muscadin. Elle communiquait avec une chambreplus petite, où l’on voyait deux couchettes d’enfants, sans matelas.Puis venait le salon, toujours fermé, et rempli de meubles recouvertsd’un drap. Ensuite un corridor menait à un cabinet d’étude; des livreset des paperasses garnissaient les rayons d’une bibliothèque entourantde ses trois côtés un large bureau de bois noir. Les deux panneaux enretour disparaissaient sous des dessins à la plume, des paysages à lagouache et des gravures d’Audran, souvenirs d’un temps meilleur et d’unluxe évanoui. Une lu

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