ÉVREUX, IMPRIMERIE CHARLES HÉRISSEY



GEORGES DARIEN



BAS LES COEURS!



PARIS
NOUVELLE LIBRAIRIE PARISIENNE
ALBERT SAVINE, ÉDITEUR
12, Rue des Pyramides, 12
1889



I

La guerre a été déclarée hier. La nouvelleen est parvenue à Versailles dans la soirée.

M. Beaudrain, le professeur du lycée quivient me donner des leçons tous les jours, dequatre heures et demie à six heures, m'aappris la chose dès son arrivée, en posant saserviette sur la table.

Il a eu tort. Moi qui suis à l'affût de tous lesprétextes qui peuvent me permettre de nerien faire, j'ai saisi avec empressement celuiqui m'était offert.

--Ah! la guerre est déclarée! Est-ce qu'onva se battre bientôt, monsieur?

--Pas avant quelques jours, a réponduM. Beaudrain avec suffisance. Un de mes amis,capitaine d'artillerie, que j'ai rencontré envenant ici, m'a dit que nous ne passerionsguère le Rhin avant un huitaine de jours.

--Alors, nous allons passer le Rhin?

--Naturellement. Il est nécessaire de franchirce fleuve pour envahir la Prusse.

--Alors, nous envahirons la Prusse?

--Naturellement, puisque nous avons 1813et 1815 à venger.

--Ah! oui, 1813 et 1815! Après Waterloo,n'est-ce pas, monsieur? Quand Napoléona été battu?...

--Napoléon n'a pas été battu. Il a été trahi,a fait M. Beaudrain en hochant la tête d'unair sombre. Mais donnez-moi donc votre devoir;c'est un chapitre des Commentaires, jecrois?

--Oui, monsieur... J'ai vu chez M. Pion...

--... Les Commentaires... Ah! c'était unbien grand capitaine que César! Eh! eh! noussuivons ses traces. Seulement nous n'auronspas besoin de perdre trois jours, comme lui,à jeter un pont sur le Rhin; nous irons un peuplus vite, eh! eh!... Qu'est-ce que vous avezvu, chez M. Pion?

--Une gravure qui représente Napoléonpartant pour Sainte-Hélène et prononçant cesmots: «O France...»

Le professeur m'a coupé la parole d'un gestebrusque; et, passant la main droite dans songilet, la main gauche derrière le dos, il a murmuréd'une voix lugubre en levant les yeuxau plafond:

--«O France, quelques traîtres de moinset tu serais encore la reine des nations!»...

--C'est sur le Bellérophon, n'est-ce pas,monsieur, que l'Empereur était embarqué?

--Je vous apprendrai cela plus tard, monami. Pour le moment, nous n'en sommes qu'àl'histoire grecque... à la Tyrannie des Trente...Mais donnez-moi votre devoir.

J'ai tendu sans peur la feuille de papier.M. Beaudrain me l'a rendue dix minutes aprèsavec un trait de crayon bleu à la onzièmeligne et une croix en marge:

--Un non-sens, mon ami, un non-sens.Hier, vous n'aviez qu'un contre-sens. Sommetout, ce n'est pas mal, car le passage n'estpas commode. Je m'étonne que vous vous ensoyez si bien tiré.

Ça ne m'étonne pas, pour une bonne raison:je copie tout simplement mes versions, depuisdeux mois, sur une traduction des Commentairesque j'ai achetée dix sous au bouquinistede la rue Royale. Les jours pairs, je glissetraîtreusement un tout petit contre-sens dansle texte irréprochable; les jours impairs, j'yintroduis un non-sens. Hier, c'était le 17.

Mon père est entré.

--Bonjour, monsieur Beaudrain. Eh bien!votre élève?...

--Ma foi, monsieur Barbier, j'en suis vraimentbien content, je lui faisais justement deséloges... A propos, dites donc, ça y est.

--Ça y est, a répété mon père, et ce n'estvraiment pas trop tôt. Ces canailles de Prussienscommençaient à nous échauffer les oreilles.Ça ne vaut jamais rien de se laisser marcher surles p

...

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