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REMY DE GOURMONT

Le Pèlerin du Silence

MERCVRE DE FRANCE

Dix-septième édition

A Stéphane Mallarmé.

Le blond troupeau bourdonne autour du fier sultan, du sultan aux cornesd'argent; c'est Tauris, courtisé de plus de collines que l'amour n'amèned'amoureuses, que la peur ne presse de peureuses aux flancs du mâleflamboyant.

Sur les coupoles, les arbres font de la dentelle: Ali la jaune, Hasseincouleur de rouille, Cazem la toute blanche, et des lunes briséesbrillent sur tous les dômes.

Au plus creux de la vasque sableuse, deux rivières joignent leurs eauxconfluentes, la verte Spincha, douce et trouble au printemps, non moinsqu'un œil de femme, et l'Agi, noir torrent salé.

Zaël méprisait de s'anonchalir aux bazars (où l'on vend des étoffesbrodées de contes de fées), aux cafés (où de tremblantes mains défrisentla chevelure parfumée des adolescents). Quand il avait fait sesdévotions à la Mosquée du Roi du Monde, cet inquiétant coffret toutdoublé d'or, tout vêtu d'or, il sortait de la ville, montait vers lesYeux d'Ali, l'hermitage fleuri de rêves, radieux comme les yeux du plusbeau des Califes.

D'autres fois, à l'heure de la moindre chaleur, il rôdait sur laGrand'Place, s'arrêtait devant une danse de loups (Tauris avait lesmeilleurs loups-danseurs de toute la Perse); devant un combat debéliers, se ruant férocement tête contre tête (des paquets depréservatrices amulettes sonnaient à leur cou comme des sonnailles);devant la lutte aérienne d'un aigle et d'un épervier: les deux oiseauxfusaient en l'air, et tandis qu'étourdi l'aigle ramigeait en vain,l'épervier, tel qu'une pierre de foudre, se laissait choir sur sonennemi, et tous les deux tombaient avec de grands bruits d'ailes.L'épervier, grisé par les clameurs, reprenait son vol, planant çà et làdans sa joie, mais l'oiseleur, d'un coup de tam-tam, le rappelait versla cage.

Un mystérieux escamoteur se montrait périodiquement, et ses magies, quienchantaient les enfants, déconcertaient les mollahs; dans une poignéede terre, un noyau de pêche, et voilà que, sous l'agitation de sonturban déroulé, le pêcher surgissait, poussait du bois, des feuilles,des fleurs, des fruits qui se gonflaient, veloutés et vermeils.

Voyant cela, Zaël se demandait s'il n'est point des mots qui domptent lanature et si l'esprit de certains prédestinés n'a pas sur les choses unedomination pareille à celle du vent sur les sables; mais, quand ilinterrogeait Yezid-Hagy, son maître, le maître souriait, et rien deplus.

Depuis longtemps, précocement sage, il avait délaissé les jeux: legaujaphé (qui se joue avec des signes peints sur de petitesplanchettes), les œufs (où l'on choque, au plus fort, des œufs durs etdorés), les échecs (où l'on crie «cheicchamat», quand le roi va êtrepris), l'arc (où on lâche douze flèches, en disant à la dernière: «Entreau cœur d'Omar!»)

Il ne se plaisait qu'aux entretiens de Yezid, ou solitaire.

Jusqu'en ces derniers temps, on l'avait vu royalement habillé: chemisede soie perse semée d'astres d'argent; jupe en cloche d'un persassombri, bombant autour des cuisses; justaucorps soutaché or sur or etdoublé avec la laine des moutons de Bactriane, plus fine et plus soyeuseque des cheveux de blonde; jambières en drap gri

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