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Louis GUIBERT
1892
Extrait du Compte-rendu du LVIIe Congrès archéologique de France tenu en1890, à Brive
Les Livres de raison, tenus jadis au foyer de presque toutes nos famillesde moyenne et de petite noblesse, de magistrature, de riche bourgeoisie,—en usage chez les artisans des villes comme chez les propriétairesruraux, avaient été, jusqu'à ces dernières années, complètement négligéspar les érudits. Il y a cinquante ans, nul ne songeait à les disputeraux rats, aux vers et à l'humidité, à les tirer de la poussière desgreniers où ils dormaient oubliés depuis la Révolution,—depuis pluslongtemps, peut-être; car, bien avant 1789, les liens de la familles'étaient relâchés, et le respect des traditions avait perdu son empire.A peine quelques descendants respectueux avaient-ils pris les précautionsindispensables pour soustraire les notes intimes de leurs ancêtres àtoutes les causes de destruction qui les menaçaient. Un certain nombre demanuscrits domestiques furent ainsi sauvés; mais on ne les feuilletaguère, et, dans ceux qu'on ouvrit, on chercha surtout des renseignementsgénéalogiques. C'est là sans doute un des genres d'informations qu'on peutleur demander; mais leur valeur à ce point de vue, si notable qu'elle soit,constitue un de leurs moindres mérites, et ils présentent, à beaucoupd'autres égards, un intérêt plus sérieux et d'un ordre incomparablementplus élevé.
Tout le reste, néanmoins, n'importait guère à cette époque, pourtant si peuéloignée de nous. La science sociale n'existait pas encore, et les grandesquestions qu'elle devait agiter plus tard se devinaient à peine derrièreles formules si discutées de l'économie politique. L'archéologieentrevoyait les larges perspectives de l'horizon qu'embrasse aujourd'huison regard; mais comme sa marche était chancelante et laborieux sesprogrès! Que d'incertitudes, que d'hésitations, de lenteurs, faute depoints de départ fixes, de points de comparaison bien reconnus et biendéterminés, faute d'une méthode scientifique, d'une critique un peu sévère,de rigoureuses définitions!… Pour l'histoire, elle croyait avoir tout ditquand elle avait retracé avec plus ou moins de fidélité les grands chocsdes peuples, la succession des monarques, les événements principaux dechaque règne, les bruyantes et monotones vicissitudes des batailles. Quepouvaient fournir à des récits d'aussi haute volée les modestes registresde ces marchands, de ces notaires, de ces gentils-hommes de campagne? Unjour vint pourtant où l'histoire élargit le champ de ses investigations,aperçut le peuple tout entier au-dessous du prince et entreprit de scruterla vie des diverses classes de la nation dans tous ses détails. Quelqueschercheurs s'avisèrent de l'intérêt qu'offriraient les témoignagesdes livres de raison, bien moins suspects que les mémoires ou lescorrespondances des gens de cour. On ouvrit donc les vieux registres,que des mains filiales avaient seules touchés pendant des siècles, et onles interrogea avec une certaine curiosité, mais avec trop de respectpeut-être: il faut dire qu'ils étaient de mine passablement rébarbative,et que tout, dans la plupart de ces vénérables volumes, semblait fait pourdécourager le lecteur: l'écriture, d'un déchiffrem