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PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1903
Vers le milieu de la rue de l'Université, entre le numéro 51 et le 57,on voit quatre hôtels qui peuvent compter parmi les plus beaux deParis. Le premier appartient à M. Pozzo di Borgo; le second, au comtede Mailly; le troisième, au duc de Choiseul; le dernier au baron deSanglié. C'est celui qui fait l'angle de la rue Bellechasse.
L'hôtel de Sanglié est une habitation de noble apparence. La portecochère s'ouvre sur une cour d'honneur soigneusement sablée et tapisséede treilles centenaires. La loge du suisse est à gauche, cachée sous unlierre épais où les moineaux et les portiers babillent à l'unisson. Aufond de la cour à droite, un large perron, abrité sous une marquise,conduit au vestibule et au grand escalier. Le rez-de-chaussée et lepremier sont occupés par le baron tout seul; il jouit sans partage d'unvaste jardin borné par d'autres jardins, peuplé de fauvettes, de merleset d'écureuils qui vont de l'un chez l'autre en pleine liberté, commes'ils étaient habitants d'un bois, et non citoyens de Paris.
Les armes des Sanglié, peintes à la cire, se répètent sur tous les mursdu vestibule. C'est un sanglier d'or sur champ de gueules. L'écusson estsupporté par deux lévriers et surmonté d'un tortil de baron avec cettelégende: SANG LIÉ AU ROY. Une demi-douzaine de lévriers vivants, groupéssuivant leur fantaisie, s'agacent au pied de l'escalier, mordillent lesvéroniques en fleur dans les vases du Japon, ou s'aplatissent sur letapis en allongeant leur tête serpentine. Les valets de pied, assis surdes banquettes de Beauvais, se croisent solennellement les bras, commeil convient à des gens de bonne maison.
Le 1er janvier 1853, vers les neuf heures du matin, tous les domestiquesde l'hôtel tenaient sous le vestibule un congrès tumultueux. L'intendantdu baron, M. Anatole, venait de leur distribuer leurs étrennes. Lemaître d'hôtel avait reçu cinq cents francs, le valet de chambre deuxcent cinquante. Le moins favorisé de tous, le marmiton, contemplait avecune tendresse inexprimable deux beaux louis d'or tout neufs. Il y avaitdes jaloux dans l'assemblée, mais pas un mécontent, et chacun disait enson langage que c'est plaisir de servir un maître riche et généreux.
Ces messieurs formaient un groupe assez pittoresque autour d'une desbouches du calorifère. Les plus matineux avaient déjà la grande livrée;les autres portaient encore le gilet à manches, qui est la petite tenuedes domestiques. Le valet de chambre était tout de noir habillé, avecdes chaussons de lisière; le jardinier ressemblait à un villageoisendimanché;