Nam veluti pueris absinthia tetra medentes,
Cum dare conantur prius oras pocula circum
Contingunt mellis dulci flavoque liquore,
Ut puerum aetas improvida ludificetur
Labrorum tenus; interea perpotet amarum
Absinthy lathicem deceptaque non capiatur,
Sed potius tali tacta recreata valescat.
Luc. Lib. 4.
Verfeuille, 16 Novembre.
C'est en présentant l'objet qui l'enchaîne, qu'un amant peut se flatterd'obtenir l'indulgence de ses fautes: daignez jeter les yeux surLéonore, et vous y verrez à-la-fois la cause de mes torts, et la raisonqui les excuse.
Né dans la même ville qu'elle, nos familles unies par les noeuds du sanget de l'amitié, il me fut difficile de la voir long-tems sans l'aimer;elle sortait à peine de l'enfance, que ses charmes faisaient déjà leplus grand bruit, et je joignis à l'orgueil d'être le premier à leurrendre hommage, le plaisir délicieux d'éprouver qu'aucun objet nem'embrâsait avec autant d'ardeur.
Léonore dans l'âge de la vérité et de l'innocence, n'entendit pas l'aveude mon amour sans me laisser voir qu'elle y était sensible, et l'instantoù cette bouche charmante sourit pour m'apprendre que je n'étais pointhaï, fut, j'en conviens, le plus doux de mes jours. Nous suivîmes lamarche ordinaire, celle qu'indique le coeur quand il est délicat etsensible, nous nous jurâmes de nous aimer, de nous le dire, et bientôtde n'être jamais l'un qu'à l'autre. Mais nous étions loin de prévoir lesobstacles que le sort préparait à nos desseins.—Loin de penser quequand nous osions nous faire ces promesses, de cruels parenss'occupaient à les contrarier, l'orage se formait sur nos têtes, et lafamille de Léonore travaillait à un établissement pour elle au mêmeinstant où la mienne allait me contraindre à en accepter un.
Léonore fut avertie la première; elle m'instruisit de nos malheurs; elleme jura que si je voulais être ferme, quels que fussent les inconvéniensque nous éprouvassions, nous serions pour toujours l'un à l'autre; je nevous rends point la joie que m'inspira cet aveu, je ne vous peindrai quel'ivresse avec laquelle j'y répondis.
Léonore, née riche, fut présentée au Comte de Folange, dont l'état etles biens devaient la faire jouir à Paris du sort le plus heureux; etmalgré ces avantages de la fortune, malgré tous ceux que la nature avaitprodigués au Comte, Léonore n'accepta point: un couvent paya ses refus.
Je venais d'éprouver une partie des mêmes malheurs: on m'avait offertune des plus riches héritières de notre province, et je l'avais refuséeavec une si grande dureté, avec une assurance si positive à mon père,qu'ou j'épouserais Léonore, ou que je ne me marierais jamais, qu'ilobtint un ordre de me faire joindre mon corps, et de ne le quitter dedeux ans.
Avant de vous obéir, Monsieur, dis-je alors, en me jettant aux genoux dece père irrité, souffrez que je vous demande au moins la cruelle raisonqui vous force à ne vouloir point m'accorder celle qui peut seule fairele bonheur de ma vie? Il n'y en a point, me répondit mon père, pour nepas vous donner Léonore, mais il en existe de puissantes