REMY DE GOURMONT
POÈMES EN VERS
PORTRAIT DE L’AUTEUR GRAVÉ
SUR BOIS PAR P.-E. VIBERT
PARIS
GEORGES CRÈS ET Cie
LES MAÎTRES DU LIVRE
3, PLACE DE LA SORBONNE, 3
MCMXII
Il y a une quinzaine d’années, quand le Mercurecommençait sa Bibliothèque, un des poètes quiallaient être édités me demandait pourquoi je nepubliais pas, moi aussi, un recueil de poèmes.J’acceptai l’insinuation pour les environs del’année 1910, et je n’y pensais plus (car la vienous comble de multiples soucis) et n’y auraispeut-être jamais plus pensé, quand se présenta uneoccasion très favorable. J’ai toujours aimé que lehasard régisse visiblement ma destinée, et dansl’ordre littéraire, comme en d’autres, j’ai si peu euà me plaindre de lui que je lui cède volontiers.Pourtant ce n’est pas sans appréhension que jelivre aux amateurs de poésie un recueil aussi hétérocliteet d’âges si divers, quoique le titre, Divertissements,soit d’une extrême modestie. Je neplaide pas la sincérité. J’ai été sincère, quand ilm’a plu de l’être, et d’ailleurs la sincérité, qui està peine une explication, n’est jamais une excuse.Si j’en avais besoin d’une, je n’irais pas la cherchersi naïve et j’aime mieux avouer qu’en sommeil faut prendre au sérieux un titre qui ne l’estguère aux yeux de la plupart des hommes.
La joie, la joie cachée, le contentement intérieur,est un sentiment sans lequel je ne saurais vivreavec plénitude et avec lequel, non plus, je ne sauraislongtemps me plaire. La plupart des Divertissementsreprésentent les heures où, avant deprendre congé d’un mutuel accord, ce sentiments’exalta un instant. La vie est discontinue et ne secompose que d’instants reliés par l’inconscience ;la nature essentielle de chaque poésie change selonle caractère de ces instants où le poète a pu prendreconscience de lui-même. Les poésies de joie n’ontpas fleuri dans les jardins les plus heureux, ni lesplus douloureuses dans les jardins les moins ensoleillés.
Il y a très peu, dans ce recueil, de poésies purementverbales, que domine le plaisir de régir letroupeau obligeant des mots, dont on sent bien quel’obéissance m’a découragé à mesure que je m’assuraisde leur docilité excessive. Peut-être mêmetrouvera-t-on que j’ai fini par concevoir le poèmesous une forme trop dépouillée, mais cela étaitpeut-être permis à l’auteur du Livre des Litanies,d’ailleurs rejeté d’un recueil qu’il voulait représentatifd’une vie de sentiment plutôt encore qued’une vie d’art. C’est sans doute un malheur pourle poète quand il s’aperçoit enfin qu’il y a peut-êtreplus de poésie dans un regard ou dans uncontact de mains qu’il ne saurait en créer avec laplus adroite et la plus périlleuse construction verbale.C’est un malheur, parce que cela coïncideavec le dépeuplement de sa vie, au moment mêmeoù la faculté des miracles de l’écriture est sur lepoint de lui échapper aussi, et parce que c’est làun inéluctable sentiment de dissolution où il nepeut plus noter que d’inutiles rêves et de tristesintentions. Mais comme c’est un malheur qui metfin à toute poésie, on espère qu’on n’en trouverapas ici de traces trop visibles.
Il peut être curieux d’apprendre c