«Bientôt on verrait un calme affreux, pendant lequel tout se réunirait contre la puissance violatrice des lois.»
«Quand Sylla voulut rendre la liberté à Rome, elle ne put plus la recevoir»
(MONTESQUIEU, Esp. des Lois.)
Ce livre a des traits qui peuvent s'appliquer à tous les gouvernements, mais il a un but plus précis: il personnifie en particulier un système politique qui n'a pas varié un seul jour dans ses applications, depuis la date néfaste et déjà trop lointaine, hélas! de son intronisation.
Il ne s'agit ici ni d'un libelle, ni d'un pamphlet; le sens des peuples modernes est trop policé pour accepter des vérités violentes sur la politique contemporaine. La durée surnaturelle de certains succès est d'ailleurs faite pour corrompre l'honnêteté elle-même; mais la conscience publique vit encore et le ciel finira bien quelque jour par se mêler de la partie qui se joue contre lui.
On juge mieux de certains faits et de certains principes quand on les voit en dehors du cadre où ils se meuvent habituellement sous nos yeux; le changement du point d'optique terrifie parfois le regard!
Ici, tout se présente sous la forme d'une fiction; il serait superflu d'en donner, par anticipation, la clef. Si ce livre a une portée, s'il renferme un enseignement, il faut que le lecteur le comprenne et non qu'on le lui commente. Cette lecture, d'ailleurs, ne manquera pas d'assez vives distractions; il faut y procéder lentement toutefois, comme il convient aux écrits qui ne sont pas des choses frivoles.
On ne demandera pas quelle est la main qui a tracé ces pages: une oeuvre comme celle-ci est en quelque sorte impersonnelle. Elle répond à un appel de la conscience; tout le monde l'a conçue, elle est exécutée, l'auteur s'efface, car il n'est que le rédacteur d'une pensée qui est dans le sens général, il n'est qu'un complice plus ou moins obscur de la coalition du bien.
GENÈVE, le 15 octobre 1864.
Sur les bords de cette plage déserte, on m'a dit que je rencontrerais l'ombre du grand Montesquieu. Est-ce elle-même qui est devant moi?
Le nom de Grand n'appartient ici à personne, ô Machiavel! Mais je suis celui que vous cherchez.
Parmi les personnages illustres dont les ombres peuplent le séjour des ténèbres, il n'en est point que j'aie plus souhaité de rencontrer que Montesquieu. Refoulé dans ces espaces inconnus par la migration des âmes, je rends grâces au hasard qui me met enfin en présence de l'auteur de l'Esprit des lois.