Il y avait dans un bourg du département du Cher une bonne veuve âgée desoixante ans, qu'on appelait la mère Nannette. Elle possédait une petitemaison avec une petite chènevière et un jardin planté de pommiers, depruniers et de groseilliers. Du côté du chemin, un gros noyer, qui avaitplus de cent ans, ombrageait le devant de sa porte. Quand les fleurs decet arbre ne gelaient pas au printemps, il donnait assez de noix à lamère Nannette pour qu'elle eût sa provision d'huile l'année suivante.S'il se faisait deux bonnes récoltes de suite, elle vendait une partiedes noix, ce qui lui donnait un petit profit. Quoiqu'elle possédât unevigne et un beau morceau de terre, elle n'avait que bien juste ce qu'illui fallait pour vivre.
Elle semait du froment deux années de suite dans son champ, qui, latroisième, rapportait alternativement du trèfle et des pommes de terre.Elle récoltait assez de blé pour se nourrir pendant les trois ans. Maissi l'année était mauvaise, la mère Nannette vendait la pièce de toilequ'elle avait fait faire avec le chanvre amassé et filé pendant quatreans. L'argent qu'elle en retirait lui servait à compléter sa provisionde blé; et, malgré tout cela, elle pâtissait bien un peu l'hiver.
Pour que la terre rapporte chaque année sans se reposer, il fautbeaucoup de fumier; la mère Nannette, qui le savait bien, avait unevache et une chèvre qu'elle menait paître sur les communaux et le longdes haies. Avec leur lait elle faisait du beurre et des fromages,qu'elle vendait à la ville voisine. Quand ses bêtes étaient rentrées àl'étable, elle allait chercher pour elles de l'herbe dans les champs etau bord des ruisseaux. Comme elle les tenait bien proprement, ellesétaient en bon état. L'hiver, elles mangeaient ou du trèfle qui avaitété rentré bien sec, ou du regain récolté après la fauche des grandsfoins.
La mère Nannette vendait son vin et ne buvait que saboisson1; mais,comme l'argent qu'elle tirait de son vin suffisait bien juste, aveccelui de son beurre et de ses fromages, à payer l'impôt et les façons deson champ et de sa vigne, et qu'il lui fallait encore se procurerquelque argent pour son entretien, elle élevait des oisons qu'elleachetait au sortir de la coque. Elle se donnait beaucoup de mal pourappâter ces petites bêtes et pour les garantir du froid pendant lanuit. Ses voisines plumaient leurs oies quatre fois avant de les vendre;mais la mère Nannette disait que c'était une mauvaise méthode, parcequ'ainsi la plume n'avait pas le temps de se nourrir, et elle ne plumaitles siennes que trois fois; puis elle en vendait la moitié pour laToussaint et l'autre moitié à Noël.
Note 1: (retour) Eau passée sur la râpe ou le marc de la vendange.
Tout cela ne lui rapportait pas une grosse somme; mais elle était siménagère qu'il lui restait toujours un peu d'argent à la fin de l'année.Pourtant elle ne se nourrissait pas trop mal, disant qu'elle aimaitmieux donner au boucher une pièce de cinquante centimes toutes lessemaines, que vingt-cinq francs par an au médecin et au pharmacien.
Un matin, la mère Nannette, tricotant devant sa porte, vit venir à elleune jeune femme qui tenait par la main une petite fille de sept à huitans et qu