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Georges Rodenbach
(1896)
Table des matières
L'eau sage s'est enclose en des cloisons de verre
D'où le monde lui soit plus vague et plus lointain;
Elle est tiède, et nul vent glacial ne l'aère;
Rien d'autre ne se mire en ces miroirs sans tain
Où, seule, elle se fait l'effet d'être plus vaste
Et de se prolonger soi-même à l'infini!
D'être recluse, elle s'épure, devient chaste,
Et son sort à celui du verre s'est uni,
Pour n'être ainsi qu'un seul sommeil moiré de rêves!
Eau de l'aquarium, nuit glauque, clair-obscur,
Où passe la pensée en apparences brèves
Comme les ombres d'un grand arbre sur un mur.
Tout est songe, tout est solitude et silence
Parmi l'aquarium, pur d'avoir renoncé,
Et même le soleil, de son dur coup de lance,
Ne fait plus de blessure à son cristal foncé.
L'eau désormais est toute au jeu des poissons calmes
Éventant son repos de leurs muettes palmes;
L'eau désormais est toute aux pensifs végétaux,
Dont l'essor, volontiers captif, se ramifie,
Qui, la brodant comme de rêves, sont sa vie
Intérieure, et sont ses canevas mentaux.
Et, riche ainsi pour s'être enclose, l'eau s'écoute
À travers les poissons et les herbages verts;
Elle est fermée au monde et se possède toute
Et nul vent ne détruit son fragile univers.
L'aquarium où le regard descend et plonge
Laisse voir toute l'eau, non plus en horizon,
Mais dans sa profondeur, son infini de songe,
Sa vie intérieure, à nu sous la cloison.
Ah! plus la même, et toute autre qu'à la surface!
D'ordinaire l'eau veille, horizontale, au loin.
On la dirait vouée à ce seul subtil soin
D'être impressionnable au vent léger qui passe;
De ne vouloir qu'être un clavier pour les roseaux;
Et ne vouloir qu'être un hamac pour les oiseaux,
Grâce aux mailles que font les branches réfléchies;
Et ne vouloir qu'être un miroir silencieux
Où les étoiles sont tout à coup élargies;
Et surtout ne vouloir, dans son calme otieux,
Que s'orner de reflets, de couleurs accueillies,
Fard délayé du visage des Ophélies!
Vains jeux! Ils sont la vie apparente de l'eau,
Une identité feinte, un vague maquillage…
Mais dans l'aquarium s'assagit l'eau volage
Qui s'isole parmi des moires en halo.
Le mystère est à nu, qu'on ne soupçonnait guère!
C'est l'âme enfin de l'eau qui se dévoile ici:
Fourmillement fiévreux sous le cristal transi;
Zones où