SOUVENIRS

DE

MADAME LOUISE-ÉLISABETH

VIGÉE-LEBRUN,

DE L'ACADÉMIE ROYALE DE PARIS,
DE ROUEN, DE SAINT-LUC DE ROME ETD'ARCADIE,
DE PARME ET DE BOLOGNE,
DE SAINT-PÉTERSBOURG, DE BERLIN, DEGENÈVE ET AVIGNON.



En écrivant mes Souvenirs, je me rappellerai
le temps passé, qui doublera pour ainsi
dire mon existence.

J.-J. Rousseau.


TOME PREMIER


PARIS,

LIBRAIRIE DE H. FOURNIER,

RUE DE SEINE, 14 BIS.

1835.



LETTRES

À LA PRINCESSE KOURAKIN.



LETTRE I.

Mon enfance.--Mes parens.--Je suis mise au couvent.--Ma passion pour lapeinture.--Société de mon père.--Doyen. Poinsinet.--Davesne.--Ma sortiedu couvent.--Mon frère.




Ma bien bonne amie, vous me demandez avec tant d'instances de vousécrire mes souvenirs, que je me décide à vous satisfaire. Que desensations je vais éprouver en me rappelant et les événemens divers dontj'ai été témoin! et des amis, qui n'existent plus que dans ma pensée!Toutefois, la chose me sera facile, car mon coeur a de la mémoire, etdans mes heures de solitude, ces amis si chers m'entourent encore, tantmon imagination me les réalise. Je joindrai d'ailleurs à mon récit lesnotes que j'ai prises à différentes époques de ma vie, sur une foule depersonnes dont j'ai fait le portrait, et qui, pour la plupart, étaientde ma société;1 grâce à ce secours, les plus doux momens de mon existencevous seront connus aussi bien qu'ils me le sont à moi-même.

Je vous parlerai d'abord, chère amie, de mes premières années, parcequ'elles ont été le présage de toute ma vie, puisque mon amour pour lapeinture s'est manifesté dès, mon enfance. On me mit au couvent à l'âgede six ans; j'y suis restée jusqu'à onze. Dans cet intervalle, jecrayonnais sans cesse et partout; mes cahiers d'écriture, et même ceuxde mes camarades, étaient remplis à la marge de petites têtes de face,ou de profil; sur les murs du dortoir, je traçais avec du charbon desfigures et des paysages, aussi vous devez penser que j'étais souvent enpénitence. Puis, dans les momens de récréation, je dessinais sur lesable tout ce qui me passait par la tête. Je me souviens qu'à l'âge desept ou huit ans, je dessinai à la lampe un homme à barbe, que j'aitoujours gardé. Je le fis voir à mon père qui s'écria transporté dejoie: Tu seras peintre, mon enfant, ou jamais il n'en sera.

Je vous fais ce récit pour vous prouver à quel point la passion de lapeinture était innée en moi. Cette passion ne s'est jamais affaiblie; jecrois même qu'elle n'a fait que s'accroître avec le temps; car, encoreaujourd'hui, j'en éprouve tout le charme, qui ne finira j'espère qu'avecma vie. C'est au reste à cette divine passion que je dois, non-seulementma fortune, mais aussi mon bonheur, puisque dans ma jeunesse comme àprésent, elle a établi des rapports entre moi et tout ce qu'il y avaitde plus aimable, de plus distingué dans l'Europe, en hommes et enfemmes. Le souvenir de tant de personnes remarquables que j'ai connuesprête souvent pour moi du charme à la solitude. Je vis encore alors avecceux qui ne sont plus, et je dois remercier la Providence qui m'a laisséce reflet d'un bonheur passé.

J'avais au couvent une santé très faible, en sorte que mon père et mamère venaient souvent me chercher pour passer quelques jours avec eux,ce qui me charmait sous tou

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