DE L'ACADÉMIE ROYALE DE PARIS,
DE ROUEN, DE SAINT-LUC DE ROME ETD'ARCADIE,
DE PARME ET DE BOLOGNE,
DE SAINT-PÉTERSBOURG, DE BERLIN, DEGENÈVE ET AVIGNON.
En écrivant mes Souvenirs, je me rappellerai
le temps passé, qui doublera pour ainsi
dire mon existence.
J.-J. Rousseau.
Paul Ier.--Son caractère.--Incendie à Pergola.--Frogères.
M.d'Autichamp, Koutaisoff, madame Chevalier.
Paul était né le 1er octobre 1754, et monta sur le trône le 12 octobre1796. Ce que j'ai déjà raconté des funérailles de Catherine prouve assezque le nouvel empereur ne partageait point les regrets de la nation, etde plus, on sait qu'il décora du cordon de Saint-André Nicolas Zouboff,qui lui apporta la nouvelle de la mort de sa mère.
Paul avait beaucoup d'esprit, d'instruction et d'activité; mais labizarrerie de son caractère allait jusqu'à la folie. Chez ce malheureuxprince des mouvemens de bonté d'ame succédaient souvent à des mouvemensde férocité, et sa bienveillance ou sa colère, sa faveur ou sonressentiment n'étaient jamais que l'effet d'un caprice. Son premiersoin, dès qu'il fut monté sur le trône, fut d'exiler Platon Zouboff enSibérie, en lui confisquant la plus grande partie de sa fortune. Fortpeu de temps après, il le rappela, lui rendit tous ses biens, et toutela cour le vit un jour présenter cet ex-favori aux ambassadeurs deGéorgie avec la plus grande bienveillance, et le combler de bontés.
Un soir, je me trouvai à un bal qui se donnait à la cour. Tout le monde,à l'exception de l'empereur, était masqué, et les hommes et les femmesen dominos noirs. Il se fit un encombrement à une porte qui donnait d'unsalon dans un autre; un jeune homme pressé de passer, coudoya fortementune femme, qui se mit à pousser des cris. Paul se retournant aussitôtvers un de ses aides-de-camp: «Allez, dit-il, conduire ce monsieur à laforteresse, et vous reviendrez m'assurer qu'il y est bien enfermé.»L'aide-de-camp ne tarda pas à revenir dire qu'il avait exécuté cetordre. «Mais, ajouta-t-il, Votre Majesté saura que ce jeune homme a lavue excessivement basse: en voici la preuve;» et il montra les lunettesdu prisonnier, qu'il avait apportées. Paul, après avoir essayé leslunettes, pour se convaincre de la vérité du fait, dit vivement: «Courezvite le chercher, et menez-le chez ses parens; je ne me coucherai pasque vous ne soyez venu me dire qu'il est retourné chez lui.»
La plus légère infraction aux ordres de Paul était punie de l'exil enSibérie, ou pour le moins de la prison, en sorte que, ne pouvant prévoiroù vous conduirait la folie jointe à l'arbitraire, on vivait dans destranses perpétuelles. On en vint bientôt à ne plus oser recevoir dumonde chez soi; si l'on recevait quelques amis, on avait grand soin defermer les volets, et pour les jours de bal, il était convenu que l'onrenverrait les voitures. Tout le monde était surveillé pour ses paroleset pour ses actions, au point que j'entendais dire qu'il n'existait pasune société qui n'eût son espion. On s'abstenait le plus souvent deparler de l'empereur, mais je me souviens qu'un jour, étant arrivée dansun très petit comité, une dame qui ne me connaissait pas et qui venaitde s'enhardir sur ce sujet, s'arrêta tout court e