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ŒUVRES COMPLÈTES DE J. MICHELET
ÉDITION DÉFINITIVE, REVUE ET CORRIGÉE
TOME TROISIÈME
PARIS
ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR
26, RUE RACINE, PRÈS L'ODÉON
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Vêpres siciliennes.
Le fils de saint Louis, Philippe-le-Hardi, revenant de cette tristecroisade de Tunis, déposa cinq cercueils aux caveaux de Saint-Denis.Faible et mourant lui-même, il se trouvait héritier de presque toutesa famille. Sans parler du Valois qui lui revenait par la mort de sonfrère Jean Tristan, son oncle Alphonse lui laissait tout un royaumedans le midi de la France (Poitou, Auvergne, Toulouse, Rouergue,Albigeois, Quercy, Agénois, Comtat). Enfin, la mort du comte deChampagne, roi de Navarre, qui n'avait qu'une fille, mit cette richehéritière entre les mains de Philippe, qui lui fit épouser son fils.
(p. 2) Par Toulouse et la Navarre, par le Comtat, cette grandepuissance regardait vers le midi, vers l'Italie et l'Espagne. Mais,tout puissant qu'il était, le fils de saint Louis n'était pas le chefvéritable de la maison de France. La tête de cette maison, c'était lefrère de saint Louis, Charles d'Anjou. L'histoire de France, à cetteépoque, est celle du roi de Naples et de Sicile. Celle de son neveu,Philippe III, n'en est qu'une dépendance.
Charles avait usé, abusé d'une fortune inouïe. Cadet de France, ils'était fait comte de Provence, roi de Naples, de Sicile et deJérusalem, plus que roi, maître et dominateur des papes. On pouvaitlui adresser le mot qui fut dit au fameux Ugolin: «Que me manque-t-il?demandait le tyran de Pise.—Rien que la colère de Dieu.»
On a vu comment il avait trompé la pieuse simplicité de son frère,pour détourner la croisade de son but, pour mettre un pied en Afriqueet rendre Tunis tributaire. Il revint le premier de cette expéditionfaite par ses conseils et pour lui; il se trouva à temps pour profiterde la tempête qui brisa les vaisseaux des croisés, pour saisir leursdépouilles sur les rochers de la Calabre, les armes, les habits, lesprovisions. Il attesta froidement contre ses compagnons, ses frères dela croisade, le droit de bris, qui donnait au seigneur de l'écueiltout ce que la mer lui jetait.
C'est ainsi qu'il avait recueilli le grand naufrage de l'Empire et del'Église. Pendant près de trois ans, il fut comme pape en Italie, nesouffrant pas que l'on (p. 3) nommât un pape après Clément IV.Clément, pour vingt mille pièces d'or que le Français lui promettaitde revenus, se trouvait avoir livré, non seulement les Deux-Siciles,mais l'Italie entière. Charles s'était fait nommer par lui sénateur deRome et vicaire impérial en Toscane. Plaisance, Crémone, Parme,Modène, Ferrare et Reggio, plus tard même Milan, l'avaient acceptépour seigneur, ainsi que plusieurs villes du Piémont et de la Romagne.Toute la Toscane l'avait choisi pour pacificateur. «Tuez-les tous»,disait ce pacificateur aux Guelfes de Florence qui lui demandaient cequ'il fallait faire des Gibelins prisonniers[1].
Mais l'Italie était trop petite. Il ne s'y trouvait pas à l'aise. DeSyracuse il regardait l'Afrique, d'Otrante l'empire grec. Déjà ilavait donné sa fille au prétendant latin de C