RENÉ CAILLIÉ
TOMBOUCTOU
Le Niger, Jenné et le Désert.
LIMOGES
EUGÈNE ARDANT ET Cie, ÉDITEURS.
Supposons que vous ayez sous les yeuxune carte du globe ; que, sur cette carte,vous vous établissiez à l’un des points quireprésentent Brest, Nantes, Rochefort ouBordeaux, à la droite du petit carré quireprésente la France ; que de là, votre doigtse promène au large sur cet espace blancqui figure la grande masse d’eau de l’Atlantique,et, laissant à gauche l’Espagne,le Portugal, le détroit de Gibraltar, continueson chemin en vue du cap Noun, ducap Boyador, du cap Blanc, du cap Vert,en vue des établissements français et anglaisdu Sénégal et de la Gambie ; puis,reprenne enfin terre à ce petit filet noir quimarque l’embouchure du Rio-Nunez : — parvenuslà, vous avez fait douze ou quinzecents lieues, et vous êtes au point de départdu voyage que nous allons entreprendreà la suite de M. Caillié.
A présent, notre ligne de route est bienfacile à tracer, par à peu près s’entend. Ils’agit, en tournant le dos à la mer, de fixersur la carte un point à deux cents lieuesenviron de l’embouchure du Rio-Nunez, etde joindre ce point d’une part avec cetteembouchure, de l’autre avec l’empire deMaroc, avec Fez et Tanger. Entrés enAfrique par le côté qui fait face à l’Amérique,nous en sortirons par le côté qui faitface à l’Europe ; nous aurons fait sur le solafricain un coude de neuf à onze centslieues.
Qu’y a-t-il à voir, à l’heure qu’il est, surcette longue ligne ? Que se passe-t-il, dansces régions sur lesquelles la carte est presqueentièrement muette, ou bien qu’est-ceque représentent le petit nombre d’indicationsqu’elle donne ? Sous quels aspectsse présentent là et la terre et les hommes ?Le soleil, les nuages, les montagnes, lesrivières, ont-ils là les mêmes habitudes quechez nous ? Le sol est-il pareil à celui quenous foulons ? se pare-t-il des mêmes couleurs,porte-t-il les mêmes plantes, nourrit-illes mêmes animaux, et, creusé, laisse-t-ilvoir les mêmes choses ? — Enfin, s’il y ades hommes dans ces vastes contrées, quisont ces hommes ? Quelle idée se font-ils dela vie humaine ? Quel parti tirent-ils de laterre et des choses qu’elle porte ? Quelparti tirent-ils de leurs semblables et d’eux-mêmes ?Que savent-ils ? Qu’imaginent-ils ?Ce même soleil qui, eux aussi, les réchauffeet les éclaire, leur dit-il quelquechose des autres hommes qu’il a réchaufféset éclairés avant que d’arriver à eux, deceux qu’il réchauffe et éclaire en mêmetemps qu’eux : de nous, par exemple, quisommes de ceux-là ? Ces hommes s’occupent-ilsde nous, comme nous nous occuponsd’eux ? Songent-ils également, deleur côté, à nous rendre visite ?
Bien d’autres questions s’élèvent à la vuede ces espaces si voisins de notre Europe,et si fort négligés par elle ; de ces espacesoù nos croyances et nos sciences, nos langueset nos institutions sont presque totalementinconnues. Ces hommes, en effet, nepouvons-nous rien pour eux ? N’avons-nousà échanger avec eux que des regards indiscretset méfiants ? Si différents qu’ils soientde nous par l’extérieur et le costume, oumême par l’organisation et les habitudes,en sont-ils moins nos pareils au nom desbesoins universels de la nature humaine, aunom du travail qui répond partout à cesbesoins, au nom de la sympathie par laquellechacun de nous est associé aux plaisirs etsurtout aux souffrances des autres hommes ?Qu’ils le reconnaissent ou non, ils appartiennentà la g