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On se propose de montrer ici d'après quels principes et par quelles règlesla société grecque et la société romaine se sont gouvernées. On réunitdans la même étude les Romains et les Grecs, parce que ces deux peuples,qui étaient deux branches d'une même race, et qui parlaient deux idiomesissus d'une même langue, ont eu aussi les mêmes institutions et les mêmesprincipes de gouvernement et ont traversé une série de révolutionssemblables.
On s'attachera surtout à faire ressortir les différences radicales etessentielles qui distinguent à tout jamais ces peuples anciens dessociétés modernes. Notre système d'éducation, qui nous fait vivre dèsl'enfance au milieu des Grecs et des Romains, nous habitue à les comparersans cesse à nous, à juger leur histoire d'après la nôtre et à expliquernos révolutions par les leurs. Ce que nous tenons d'eux et ce qu'ils nousont légué nous fait croire qu'ils nous ressemblaient; nous avons quelquepeine à les considérer comme des peuples étrangers; c'est presque toujoursnous que nous voyons en eux. De là sont venues beaucoup d'erreurs. Nous nemanquons guère de nous tromper sur ces peuples anciens quand nous lesregardons à travers les opinions et les faits de notre temps.
Or les erreurs en cette matière ne sont pas sans danger. L'idée que l'ons'est faite de la Grèce et de Rome a souvent troublé nos générations. Pouravoir mal observé les institutions de la cité ancienne, on a imaginé deles faire revivre chez nous. On s'est fait illusion sur la liberté chezles anciens, et pour cela seul la liberté chez les modernes a été mise enpéril. Nos quatre-vingts dernières années ont montré clairement que l'unedes grandes difficultés qui s'opposent à la marche de la société moderne,est l'habitude qu'elle a prise d'avoir toujours l'antiquité grecque etromaine devant les yeux.
Pour connaître la vérité sur ces peuples anciens, il est sage de lesétudier sans songer à nous, comme s'ils nous étaient tout à faitétrangers, avec le même désintéressement et l'esprit aussi libre que nousétudierions l'Inde ancienne ou l'Arabie.
Ainsi observées, la Grèce et Rome se présentent à nous avec un caractèreabsolument inimitable. Rien dans les temps modernes ne leur ressemble.Rien dans l'avenir ne pourra leur ressembler. Nous essayerons de montrerpar quelles règles ces sociétés étaient régies, et l'on constateraaisément que les mêmes règles ne peuvent plus régir l'humanité.
D'où vient cela? Pourquoi les conditions du gouvernement des hommes nesont-elles plus les mêmes qu'autrefois? Les grands changements quiparaissent de temps en temps dans la constitution des sociétés, ne peuventêtre l'effet ni du hasard, ni de la force seule. La cause qui les produitdoit être puissante, et cette cause doit résider dans l'homme. Si les loisde l'association humaine ne sont plus les mêmes que dans l'antiquité,c'est qu'il y a dans l'homme quelque chose de changé. Nous avons en effetune partie de notre être qui se modifie de siècle en siècle; c'est notreintelligence. Elle est toujours en mouvement, et presque toujours enprogrès, et à cause d'elle, nos institutions et nos lois sont sujettes auchangement. L'homme ne pense plus aujourd'hui ce qu'il pensait il y avingt-cinq siècles, et c'est pour cela qu'