PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
RUE AUBER, 3, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
À LA LIBRAIRIE NOUVELLE
1896
Droits de traduction et de reproduction réservés
pour tous les pays, y compris la Suède, la Norvège et la Hollande.
PARIS.—IMPRIMERIE CHAIX.—16034-7-45.—(Encre Lorilleux).
Les pages qu'on va lire sont un récit desévénements qui ont le plus intéressé ma vied'artiste, des impressions que j'en ai ressenties,de l'influence qu'ils ont pu exercer surma carrière, et des réflexions qu'ils m'ontsuggérées. Sans m'abuser sur le degré d'intérêtqui peut s'attacher à mon individu,je crois que le récit exact et simple d'uneexistence d'artiste offre des enseignements[Pg 2]utiles, qui, parfois, se cachent sous un faitou sous un mot sans importance apparente,mais qui se rencontrent avec la dispositiond'esprit ou le besoin du moment. Le fait leplus indifférent, le mot le moins préméditéest souvent une opportunité; j'en aifait l'expérience, et ce qui m'a été utile ousalutaire peut l'être à d'autres.
Dans des «Mémoires», on a beaucoup,on a même à chaque instant à parler desoi. J'ai tâché de le faire avec impartialitédans mes jugements; je l'ai fait avec exactitudeet véracité dans le récit des événements,ou lorsqu'il s'agit de rapporter lesparoles d'autrui à mon sujet. J'ai dit avecsincérité ce que je pense de mes ouvrages;mais le hibou se trompait dans son jugementsur ses petits, et je ne suis pas plusque lui à l'abri de l'illusion. Le temps, s'ils'occupe de moi, donnera la mesure demes appréciations; c'est à lui que je m'enrapporte pour me mettre à ma place,[Pg 3]comme il fait de toute chose, ou pour m'yremettre si j'en suis sorti.
Ce récit est un témoignage de vénérationet d'amour envers l'être qui nous donne leplus d'amour en ce monde, une mère. Lamère est, ici-bas, la plus parfaite image, lerayon le plus pur et le plus chaud de laProvidence; son intarissable sollicitude estl'émanation la plus directe de l'éternellesollicitude de Dieu.
Si j'ai pu être, ou dire, ou faire quelquepeu que ce soit de bon pendant ma vie,c'est à ma mère que je l'aurai dû; c'est àelle que je veux en restituer le mérite.C'est elle qui m'a nourri, qui m'a élevé, quim'a formé: non pas à son image, hélas!c'eût été trop beau; et ce qui en a manquén'a pas été de sa faute, mais de la mienne.
Elle repose sous une pierre simplecomme l'a été sa vie.[Pg 4]
Puisse ce souvenir d'un fils bien-aimélaisser sur sa tombe une couronne plusdurable que nos immortelles d'un jour, etassurer à sa mémoire, au delà de ma vie,un respect que j'aurais voulu pouvoirrendre éternel![Pg 5]
Ma mère naquit à Rouen, sous le nomde Victoire Lemachois, le 4 juin 1780. Sonpère appartenait à la magistrature. Samère, une demoiselle Heuzey, était douéed'une intelligence remarquable et de merveilleusesaptitudes pour les arts. Elle étaitpoète, musicienne; elle composait, chantait,jouait de la harpe, et j'ai souvent ouïdire à ma mère qu'elle jouait