COURS FAMILIER
DE
LITTÉRATURE
REVUE MENSUELLE.
II.
Paris.—Typographie de Firmin Didot frères, fils et Cie, rue Jacob, 56.
UN ENTRETIEN PAR MOIS
PAR
M. A. DE LAMARTINE
TOME SECOND.
PARIS
ON S'ABONNE CHEZ L'AUTEUR,
RUE DE LA VILLE-L'ÉVÊQUE, 43.
1856
L'auteur se réserve le droit de traduction et de reproduction à l'étranger.
Interrompons-nous un instant pour répondre à ce sourd dénigrement dusiècle, qui s'élève dans tous les siècles, du sein des médiocrités,pour accuser le temps et la nation de stérilité ou de décadence.Certes nous avons assez prouvé jusqu'ici notre admiration presquefiliale pour l'antiquité, nous la prouverons bientôt à propos de lalittérature de la Chine; nous allons nous confirmer dans ce culte dela littérature antique à propos de la Perse, de la Grèce et de Rome:qu'on nous permette de confesser aussi ce même culte de l'immortalitéde l'intelligence dans le présent et dans l'avenir.
L'esprit humain n'a point une marche éternellement progressive etascensionnelle, comme le soutient contre moi, hélas! et contrel'évidence, un ami littéraire dans ses belles Lettres à un hommetombé (il aurait mieux fait peut être de dire à un homme sorti).
Mais l'esprit humain, comme toute chose humaine, n'a pas non plusd'éclipse permanente. Comme l'astre de la lumière matérielle, qui estson image, l'esprit humain a des crépuscules, des aurores, des midis,des déclins, des heures, en un mot des jours et des nuits; mais iln'a ni jours éternels ni nuits éternelles. Il est toujours vieuxet il est toujours jeune. Cette caducité l'empêche de se confondreavec la Divinité, dont il n'est que l'œuvre et l'ouvrier, maisjamais l'égal. C'est là l'erreur de ces Guèbres modernes du feuintellectuel, inextinguible et toujours croissant en lumière. Que cesanciens amis me le pardonnent: en bonne amitié, on est obligé d'avoirtous les jours le même cœur que ses amis; mais on n'est pas tenud'avoir toutes les nuits le même rêve.
D'un autre côté, cette jeunesse éternelle de l'esprit humain,renouvelée de génération en génération et de race en race, l'empêchede tomber dans ce découragement de lui-même et dans ce dénigrementde son temps, qui est une erreur aussi commune mais moins nobleque le rêve du progrès continu, illimité et indéfini sur la terre.Celui qui a fait le jour et la nuit pour le globe terrestre afait aussi le jour et la nuit pour l'esprit humain. Il y a eu uncommencement de l'humanité; M. Pelletan et ses amis le confessent.Le monde a-t-il commencé par un jour? a-t-il commencé par une nuit?Nous croyons qu'il a commencé par une aurore. Ces philosophescroient qu'il a commencé par les ténèbres. Question insoluble etpuérile!..... L'esprit humain a-t-il commencé par l'imbécillitéet la barbarie? a-t-il commencé par l'intelligence? Nous croyons,sans l'affirmer, qu'il a commencé par l'intelligence. Questionde goût, d'imagination et de préférence!... Mais l'esprit humaina-t-il marché sans discontinuité, sans décadence, sans vicissitude,sans chute et rechute, (p. 8) sans éclipse, de progrès illimitésen progrès illimités, jusqu'à son progrès suprême, sa divinisationsur la terre?... Question de nature, d'histoire, d'évidence, quela nature, l'h