ANATOLE FRANCE
DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE
II
PARIS CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS 3, RUE AUBER, 3
Published march twenty fifth, nineteen hundred and eight. Privilegeof copyright in the United States reserved under the Act approvedMarch third nineteen hundred and five by Manzi, Joyant et Cie.
Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays, ycompris la Hollande.
Le 22 juillet, le roi Charles, descendant l'Aisne avec son armée,reçut en un lieu nommé Vailly les clefs de la ville de Soissons[1].
Cette ville faisait partie du duché de Valois indivis entre la maisond'Orléans et la maison de Bar[2]. De ses ducs, l'un était prisonnierdes Anglais; l'autre tenait au parti français par son beau-frère leroi Charles et au parti bourguignon par son beau-père le duc deLorraine. Il y avait là de quoi troubler dans leurs sentiments defidélité les habitants qui, foulés par les gens de guerre, pris etrepris à tout moment, chaperons (p. 2) rouges et chaperons blancs,risquaient tour à tour d'être jetés dans la rivière. Les Bourguignonsmettaient le feu aux maisons, pillaient les églises, justiciaient lesplus gros bourgeois; puis les Armagnacs saccageaient tout, faisaientgrande occision d'hommes, de femmes et d'enfants, violaient nonnes,prudes femmes et bonnes pucelles, tant que les Sarrazins n'eussentfait pis[3]. On avait vu les dames de la cité coudre des sacs pour ymettre les Bourguignons et les noyer dans l'Aisne[4].
Le roi Charles fit son entrée le samedi 23 au matin[5]. Les chaperonsrouges se cachèrent. Les cloches sonnèrent, le peuple cria «Noël» etles bourgeois présentèrent au roi deux barbeaux, six moutons et sixsetiers de «bon suret», s'excusant du peu: la guerre les avaitruinés[6]. Comme ceux de Troyes, ils refusèrent leurs portes aux gensd'armes, en vertu de leurs privilèges et parce qu'ils n'avaient pas dequoi les nourrir. L'armée campa dans la plaine d'Amblény[7].
Il semble que les chefs de l'armée royale eussent (p. 3) alorsl'intention de marcher sur Compiègne. Aussi bien importait-ild'enlever au duc Philippe cette ville qui était pour lui la clef del'Île-de-France, et il y avait lieu d'agir avant que le duc eût amenéune armée. Mais dans toute cette campagne le roi de France étaitrésolu à reprendre ses villes par adresse et persuasion et non pointde force. Du 22 au 25 juillet, il somma par trois fois les habitantsde Compiègne de se rendre. Ceux-ci négocièrent, voulant gagner dutemps et se donn