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Épisode de la Guerre des Bostonnais, 1775
Roman canadien publié en Feuilleton par la "Revue Canadienne"
Montréal 1875
Immédiatement après la capitulation du 8 septembre 1760, par laquelle laNouvelle-France passait au pouvoir de l'Angleterre, une paix profonderégna dans tout le Canada. A part les dévastations commises dans legouvernement de Québec, que des armées ennemies avaient occupé pendantdeux années, tandis que la capitale avait été deux fois assiégée,bombardée, et presque anéantie, rien ne semblait indiquer dans lesautres parties de la province que l'on sortît d'une guerre sanglante etdésastreuse. Réfugiés sur leurs terres, les habitants se livraient àl'agriculture, autant pour réparer leurs pertes que pour s'isoler deleurs nouveaux maîtres. Il leur restait bien encore l'espoir que laFrance ne les abandonnerait pas et qu'elle se ferait rendre ses coloniesaprès la cessation des hostilités; mais cette dernière illusion devaitbientôt s'évanouir par le fait du honteux traité de Versailles de 1763,dont le contrecoup vint douloureusement vibrer au Canada comme le glasfunéraire de la domination française en Amérique.
Cette nouvelle détermina une seconde émigration. Les quelques famillesnobles qui restaient encore dans le pays, les anciens fonctionnaires,les hommes de loi, les marchands, repassèrent en France après avoirvendu ou abandonné leurs biens. Il ne resta plus dans les villes que lescorps religieux, quelques rares employés subalternes, à peine unmarchand, et les artisans. La population des campagnes étant attachée ausol fut seule unanime à ne point émigrer.
Les conquérants avaient déjà pris leurs mesures pour s'assurer de lalibre possession de leur conquête. Afin de frapper davantage l'espritdes vaincus, on les mit tout d'abord sous le régime de la loi martiale.Ce fut l'ère du despotisme.
A la suite des troupes anglaises, une foule d'aventuriers s'étaientabattus sur le Canada. Aussi pauvres d'écus et de savoir qu'avides deluxe et de domination, et pour la plupart hommes de rien, ces arrogantsambitieux se jetèrent à la curée de tous les emplois publics. Ce futalors que l'on vit un criminel tiré du fond d'une prison pour être faitjuge-en-chef, lorsque, par surcroît de mépris pour l'intérêt etl'opinion publics, cet homme ignorait le premier mot du droit civil etde la langue française. Il faut ajouter qu'il était admirablement appuyépar un procureur-général qui n'était guère moins propre à remplir sacharge, tandis qu'un chirurgien de la garnison et un capitaine enretraite étaient juges des plaidoyers communs, et que les places desecrétaire provincial, de greffier du conseil, de régistrateur, deprévôt-maréchal, étaient, données à des favoris qui les louaient ensuiteaux plus offrants. Les honteuses menées de tous ces tripotiers allèrentsi loin que Murray lui-même, le gouverneur, brave et honnête soldat, neput s'empêcher de rougir de son entourage. Il suspendit le juge-en-chefde ses fonctions, le renvoya en Angleterre et témoigna sonmécontentement au ministère. L'abolition des anciennes lois françaisesvint mettre le comble à la tyrannie, et des murmures menaçantscommencèrent à sortir du sein d'une population qui, toute vaincuequ'elle était, ne se sentait pas née pour l'esclavage.
Cependant on votait dans le Parlement de la Grande-