A Paris règne la liberté et l'égalité. La naissance,la vertu, le mérite même de la guerre, quelquebrillant qu'il soit, ne sauve pas un homme dela foule dans laquelle il est confondu. La jalousiedes rangs y est inconnue. On dit que le premierde Paris est celui qui a les meilleurs chevaux à soncarrosse.
Un grand seigneur est un homme qui voit le roi,qui parle aux ministres, qui a des ancêtres, desdettes et des pensions. S'il peut avec cela cacherson oisiveté par un air empressé, ou par un feintattachement pour les plaisirs, il croit être le plusheureux de tous les hommes.
En Perse, il n'y a de grands que ceux à qui lemonarque donne quelque part au gouvernement.Ici, il y a des gens qui sont grands par leur naissance;mais ils sont sans crédit. Les rois fontcomme ces ouvriers habiles qui, pour exécuterleurs ouvrages, se servent toujours des machinesles plus simples.
La faveur est la grande divinité des François.Le ministre est le grand prêtre, qui lui offre biendes victimes. Ceux qui l'entourent ne sont pointhabillés de blanc: tantôt sacrificateurs, et tantôtsacrifiés, ils se dévouent eux-mêmes à leur idoleavec tout le peuple.
Le désir de la gloire n'est point différent de cetinstinct que toutes les créatures ont pour leurconservation. Il semble que nous augmentons notreêtre, lorsque nous pouvons le porter dans la mémoiredes autres: c'est une nouvelle vie que nousacquérons, et qui nous devient aussi précieuse quecelle que nous avons reçue du ciel.
Mais comme tous les hommes ne sont pas égalementattachés à la vie, ils ne sont pas aussi égalementsensibles à la gloire. Cette noble passion estbien toujours gravée dans leur cœur; mais l'imaginationet l'éducation la modifient de mille manières.
Cette différence, qui se trouve d'homme àhomme, se fait encore plus sentir de peuple àpeuple.
On peut poser pour maxime que, dans chaqueÉtat, le désir de la gloire croît avec la liberté dessujets, et diminue avec elle: la gloire n'est jamaiscompagne de la servitude.
Un homme de bon sens me disoit l'autre jour:On est en France, à bien des égards, plus librequ'en Perse; aussi y aime-t-on plus la gloire. Cetteheureuse fantaisie fait faire à un François, avecplaisir et avec goût, ce que votre sultan n'obtientde ses sujets qu'en leur mettant sans cesse devantles yeux les supplices et les récompenses.
Aussi, parmi nous, le prince est-il jaloux del'honneur du dernier de ses sujets. Il y a pour lemaintenir des tribunaux respectables: c'est le trésorsacré de la nation, et le seul dont le souverainn'est pas le maître, parce qu'il ne peut l'être sanschoquer ses intérêts. Ainsi, si un sujet se trouveblessé dans son honneur par son prince, soit parquelque préférence, soit par la moindre marquede mépris, il quitte sur-le-champ sa cour, son emploi,son service, et se retire chez lui.
La différence qu'il y a des troupes françoises auxvôtres, c'est que les unes, composées d'esclavesnaturellement lâches, ne surmontent la crainte dela mort que par celle du chât