Calme du cœur. Les vents suspendus. L'air immobile......
Christophe était tranquille; la paix était en lui. Il éprouvait,quelque fierté de l'avoir conquise. Et secrètement, il en étaitcontrit. Il s'étonnait du silence. Ses passions étaient endormies; ilcroyait, de bonne foi, qu'elles ne se réveilleraient plus.
Sa grande force, un peu brutale, s'assoupissait, sans objet,désœuvrée. Au fond, un vide secret, un: «à quoi bon», caché;peut-être le sentiment du bonheur qu'il n'avait pas su saisir. Iln'avait plus assez à lutter ni contre soi, ni contre les autres. Iln'avait plus assez de peine, même à travailler. Il était arrivé auterme d'une étape; il bénéficiait de la somme de ses effortsantérieurs; il épuisait trop aisément la veine musicale qu'il avaitouverte; et tandis que le public, naturellement en retard, découvraitet admirait ses œuvres passées, lui, s'en détachait, sans savoirencore s'il irait plus avant. Il jouissait, dans la création, d'unbonheur uniforme. L'art n'était plus pour lui, à cet instant de savie, qu'un bel instrument, dont il jouait en virtuose. Il se sentait,avec honte, devenir dilettante.
«Il faut, disait Ibsen, pour persévérer dans l'art, autre chose etplus qu'un génie naturel: des passions, des douleurs qui remplissent lavie et lui donnent un sens. Sinon, l'on ne crée pas, on écrit deslivres.»
Christophe écrivait des livres. Il n'y était pas habitué. Ces livresétaient beaux. Il les eût préférés moins beaux et plus vivants. Cetathlète au repos, qui ne savait que faire de ses muscles, regardait,avec le bâillement d'un fauve qui s'ennuie, les années, les années detranquille travail qui l'attendaient. Et comme, avec son vieux fondsd'optimisme germanique, il se persuadait volontiers que tout était pourle mieux, il pensait que c'était là sans doute le terme inévitable;il se flattait d'être sorti de la tourmente, d'être devenu sonmaître. Ce n'était pas beaucoup dire...
Enfin! On règne sur ce qu'on a, on est ce qu'on peut être....
Il se croyait arrivé au port.
Les deux amis n'habitaient pas ensemble. Quand Jacqueline était partie,Christophe avait pensé qu'Olivier reviendrait s'installer chez lui.Mais Olivier ne le pouvait point. Malgré le besoin qu'il avait de serapprocher de Christophe, il sentait l'impossibilité de reprendre aveclui l'existence d'autrefois. Après les années passées avecJacqueline, il lui eût semblé intolérable, et même sacrilège,d'introduire un autre dans l'intimité de sa vie,—cet autre l'aimât-ilmieux et fût-il mieux aimé de lui que Jacqueline.—Cela ne se raisonnepas...
Christophe avait eu peine à comprendre. Il revenait à la charge, ils'étonnait, il s'attristait, il s'indignait... Puis, son instinct,supérieur à son intelligence, l'avertit. Brusquement, il se tut, ettrouva qu'Olivier avait raison.
Mais ils se voyaient, chaque jour, et jamais ils n'avaient été plusunis. Peut-être n'échangeaient-ils pas dans leurs entretiens lespensées les plus intimes. Ils n'en avaien