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Leibniz, dit-on, ne faisait cas de la science que parce qu'elle luidonnait le droit d'être écouté quand il parlait de philosophie et dereligion. L'idée certes est généreuse et digne de son grand esprit, maissi tous ceux qui abordent ces hautes questions devaient commencer parêtre des Leibniz, ils deviendraient singulièrement rares. Quelque hautd'ailleurs qu'ils fussent placés, leurs discours éloquents ou vulgaires,orthodoxes ou hérétiques, vaudraient seulement par eux-mêmes etnullement par le nom de l'auteur. Les plus illustres sur ce terrain sontles égaux des plus humbles, et l'autorité n'y peut être acceptée dansaucune mesure. Que les luthériens ne triomphent donc pas pour avoircompté dans leurs rangs Képler et Leibniz, car les catholiques leuropposeraient Descartes et Pascal, et si ces grands hommes se sonthautement déclarés chrétiens, on pourrait, parmi les penseurs les pluslibres et les sceptiques les plus hardis, citer des génies du mêmeordre, au premier rang desquels se place d'Alembert.
Le nom de d'Alembert rappelle aux géomètres l'émule de Clairaut etd'Euler, le prédécesseur de Lagrange et de Laplace, le successeurd'Huygens et de Newton; d'Alembert est, pour les lettrés, l'orateurspirituel, dont l'éloquence toujours prête fut, pendant un quartde siècle, pour deux Académies, le plus grand attrait des séancessolennelles.
Les curieux d'anecdotes littéraires savent ses relations avec un grandhomme et avec un grand roi, qu'il osait, tout en les respectant etles aimant, et sans méconnaître l'honneur de leur amitié, contrediresouvent, blâmer quelquefois et conseiller avec une indépendante sagesse.
A la fin comme au commencement de sa vie, la destinée de d'Alembert lemit en lutte avec le malheur. Vainqueur dans son enfance, il a su, parla force de son caractère et la grâce de son esprit, triompher d'unesituation difficile et cruelle. Brisé par le chagrin aux approches dela vieillesse, il a courbé tristement la tête et, sans accepter lesconsolations de l'amitié ni se soucier des distractions de la gloire,attendu la mort comme une délivrance.
D'Alembert fut exposé quelques heures après sa naissance, le 17 novembre1717, sur les marches de l'église Saint-Jean-Lerond.
Cette petite église, démolie en 1748, avant d'être un sanctuaireparticulier, avait été une chapelle dépendant de la cathédrale ou, pourparler plus exactement, le baptistère même de Notre-Dame de Paris,accolé à la gauche de la façade, dont Claude Frollo, pendant sa chute,apercevait le toit, «petit comme une carte ployée en deux».
Dans plusieurs églises, à Sens et à Auxerre notamment, leschapelles réservées aux cérémonies du baptême s'appellent égalementSaint-Jean-Lerond.
La mère de d'Alembert, en le livrant à la charité publique, s'étaitréservé heureusement le moyen de le retrouver un jour. L'enfant, baptisépar les soins d'un commissaire de police, reçut le nom de Jean-BaptisteLerond. On l'envoya en nourrice au village de Crémery, près deMontdidier; il y resta six semaines. La première nourrice, Anne Frayon,